Un album majeur pour célébrer Gaston Miron
Le projet est majeur et le résultat, tout à la hauteur des intentions: douze auteurs-compositeurs-interprètes et deux générations rassemblés pour rendre un hommage musical au géant Miron. Un «rapaillage» de première qualité.
Il y a les «vieux»: Corcoran, Rivard, Séguin, Lavoie, Plume, Flynn, Faubert. Il y a les «jeunes»: Martin Léon, Yann Perreau, Vincent Vallières, Louis-Jean Cormier. Puis le concepteur: Gilles Bélanger. Et tout au coeur de leur rencontre, un poète, moitié-rapaillé moitié-immortel, planté bien droit dans l'histoire québécoise.
Mardi dernier, le Lion d'Or était plein pour le lancement du projet Douze hommes rapaillés mis sur pied par Bélanger. Douce frénésie dans la salle: on discutait ici d'Obama, ailleurs de Miron. Les uns félicitaient le réalisateur Louis-Jean Cormier pour les Félix récoltés à l'ADISQ -- avec Karkwa --, les autres se retrouvaient avec plaisir: accolade de Rivard à Séguin, de Séguin à Corcoran... Sur la scène, la figure en esquisse de Gaston Miron souriait discrètement.
Les sourires des participants au projet étaient, eux, franchement radieux. Pour sa part, Gilles Bélanger -- qui a écrit les musiques des douze poèmes choisis pour l'album -- voyait se concrétiser un rêve vieux de dix ans, fait aux côtés de Chloé Sainte-Marie. «Miron, c'est notre plus grand poète, notre Neruda, disait-il. Il fallait que je fasse ce projet, qu'on aille plus loin avec Miron. Parce que Miron, c'est l'angoisse de l'homme, la colère, la rupture, la lucidité d'un homme capable de dévoiler toutes les mailles dont on est fait. Et surtout, c'est un intemporel.»
Employons les mots de Jim Corcoran pour dire finement les choses: «Bruiteur de l'âme au regard pacifique, Gaston Miron a fait le repérage intérieur qui nous facilite l'accès au plus profond, au plus beau, et au plus vrai.»
Armé de ce bagage de mots rares, Bélanger a choisi un réalisateur aussi jeune que talentueux (Cormier) qui, pour avoir fait deux ans de scène avec Sainte-Marie, avait Miron bien en tête. «C'est un magnifieur de chansons», dit Bélanger.
Les deux ont ensuite sélectionné pour chaque poème l'interprète le plus «naturel». Les invitations ont été lancées avec un mot d'ordre à la clé: vous ne jouerez d'aucun instrument. Le band, c'est nous.
Qui donc? Louis-Jean Cormier aux guitares, avec son collègue de Karkwa François Lafontaine aux claviers, Robbie Kuster (Patrick Watson) à la rythmique et Mario Légaré à la basse. «Le "all-star band" de Montréal», dixit un Yann Perreau qui portait haut sa tuque pro-Tibet lors du lancement.
Le seul qui a été autorisé à jouer quelque chose fut Richard Séguin, rayon harmonica. «Il a tout fait d'une seule prise, sa voix et l'harmonica, s'étonnait encore mardi Cormier. J'ai beaucoup appris avec ceux qu'on appelle gentiment les mononcles. Ils connaissent leur métier, mettons.»
Et ça prenait des pros, parce que le duo Bélanger-Cormier n'avait réservé le studio que pour neuf jours. Question d'unité. «J'ai tout fait pour que ça n'ait pas l'air d'une pizza all-dessed, poursuit le réalisateur. Je voulais que ce soit les mêmes musiciens d'un bout à l'autre, puis qu'on enregistre tout le monde ensemble tout le temps. Ça aide à avoir une uniformité.»
Tous les artistes interrogés au Lion d'Or l'ont souligné: le travail a été mené de main de maître, et dans le plaisir absolu. Le plaisir de rendre hommage à Miron, d'abord. «On n'a pas abusé de nos poètes, estime Richard Séguin. Chanter Miron, c'est essentiel à mes yeux. C'est un devoir de mémoire. Il est la somme de ce que nous sommes.»
«Miron touche un essentiel poétique québécois, ajoute Michel Rivard. Il a une façon unique de nous représenter collectivement, même quand ses textes sont très personnels. Je me reconnais là-dedans. Je reconnais notre nature.»
Même discours chez les plus jeunes. «Je l'ai lu en lecture obligatoire au cégep, et depuis L'Homme rapaillé est toujours dans mon étui de guitare, indique Vincent Vallières. C'est une oeuvre essentielle, puissante.»
Martin Léon: «Je l'ai lu pour la première fois il y a quatre ans. J'ai été soufflé: je n'avais jamais rencontré de poésie aussi sensible, avec un regard aussi fin sur l'amour, sur le grand voyage qu'on fait ici.»
Yann Perreault: «Miron, c'est Félix en chansons. Un pilier, un modèle d'intégrité, de dignité, de constance.»
Le plaisir aussi de faire de la musique de cette manière, dans un cadre bien défini. Gilles Bélanger a procédé de la même façon pour tout le monde: en enregistrant des versions guitare-voix des chansons, avant d'envoyer les maquettes aux interprètes pour la «mise en bouche».
«J'étais en Inde à cette période, et j'écoutais chaque jour dans mon iPod ce que j'allais chanter», confiait Yann Perreau, pour qui enregistrer trois jours après le retour d'un long voyage fut une expérience «intense en sac'».
Mais voilà: en deux mois, Perreau avait eu le temps de s'approprier la chanson pour arriver à la chanter comme il chanterait du Yann Perreau. Et tout ça transparaît sur l'album. Pour autant que Louis-Jean Cormier ait réussi à imposer une ligne directrice claire au projet, la personnalité musicale de chaque interprète s'entend aisément. Comme si Miron convenait au débit et à la diction de chacun.
«J'ai reçu l'enregistrement chez moi, se rappelle Martin Léon, et on entendait le frigo de Gilles Bélanger derrière la musique. Concrètement, c'était ça, la toune. Guitare, voix. J'avais juste à l'assimiler pour me faire une idée de ce que je voulais que ce soit et pour trouver ce que je pouvais ajouter. Ça m'a obligé à m'abandonner.»
«Gilles Bélanger a de grandes qualités de musicien et de chansonnier, dit Richard Séguin. Il est au service du texte, c'est un grand mélodiste capable d'une grande simplicité. Et ça me fascine», glisse-t-il en ajoutant que Bélanger lui a écrit sa chanson (Pour retrouver le monde et l'amour) en quelque 24 heures. «C'est quasiment choquant de rapidité!» Mais Bélanger tempère un peu: «J'ai, en général, bûché énormément... Sauf que bûcher sur Miron, c'est un plaisir.»
***
Douze hommes rapaillés chantent Gaston Miron
Spectra Musique
****
L'Homme rapaillé
Gaston Miron
Typo, 1998, 272 pages
***
Un documentaire de Sophie Desrape sur l'enregistrement de cet album sortira bientôt.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire