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vendredi 20 février 2009

Entretien avec Bruno Fecteau, pianiste de Gilles Vigneault.

Jean Nicolas De Surmont / La République des Lettres, jeudi 19 février 2009

JNDS - J'aurais aimé que tu me parles de la relation texte-musique en chanson et de la priorité accordée en musicologie anglaise à la composante musicale par rapport à son pendant francophone qui priviligierait plus le texte; et de faire des parallèles entre l'approche universitaire, celle des musiciens et les gens de l'industrie (ce que je nomme les médiateurs) à ce niveau.

Bruno Fecteau - Quant on est sur scène ou en train de mixer un disque, l'approche anglaise est de dire que la voix fait partie des instruments et mixée au même niveau que les autres ou peut être un peu plus fort seulement laissant penser que le texte n'est pas plus important que cela. Le mixe à la française, il faut entendre tout les mots tout le temps. Cela ne veut pas dire que certains techniciens francophones ne travaillent pas à l'anglaise et vice-versa mais c'est une exception. On peut mentionner l'exemple de Daniel Lanois, qui est un franco-ontarien, collaborateur de Peter Gabriel.

JNDS - Et Brian Eno ?

Bruno Fecteau - Oui, ce sont des bons copains. Brian Eno laisse aussi une certaine place à la voix plus qu'ordinaire, mais je les considère comme des gens d'exception pour l'importance qu'ils accordent à la voix et le style de musique dans lequel ils se sont investis qui n'est pas "populaire, populaire" au sens strict comme Eurythmics et compagnie. Mais plutôt dans le courant Peter Gabriel ou l'on compte entendre vraiment les mots, quoique même ceux produits par Daniel Lanois si tu n'as pas le livret tu as parfois du mal à comprendre ce qu'ils disent. C'est dommage, je trouve car parfois les textes sont intéressants mais ils sont tellement fondus dans la musique qu'il faut vraiment les lire pour déchiffrer ce qui se dit alors que dans la tradition française de chanson française, à la française, la voix est vraiment mise de l'avant; ainsi on ne perd jamais un mot de Jacques Brel, de Georges Brassens et même de Serge Gainsbourg. Sauf parfois lorsqu'il a collaboré avec des Anglais et cela donne un résultat contestable. On peut faire un parallèle dans les études musicologiques ou les Français travaillent dans une dimension historique, littéraire où l'on s'intéresse aux musiciens, aux auteurs aux compositeurs alors que dans l'approche germano-anglaise on s'intéresse à la musique comme science, donc la musique passe en premier au détriment de l'auteur. Ce que le compositeur et l'auteur ont fait dans leur vie n'a peu d'importance si ce n'est que si le changement de ville de résidence a une incidence sur son style de composition. Pour le reste de savoir s'il a eu deux enfants ou dix, on s'en fout complètement.

JNDS - Chez les musicologues anglais, tu me parle de la vision du compositeur. Pour ce qui regarde la chanson ou les ACI chez les musicologues anglo saxons, pourrait-on dire que la vie littéraire et musicale, anectdotique et sociale, serait moins importante que pour les francophones.

Bruno Fecteau - Oui c'est cela.

JNDS - Mais si l'on considere l'objet chanson en général, pense tu que les musicologues anglais pourraient s'intéresser aux texte chansonnier ou uniquement à la musique ?

Bruno Fecteau - J'ai l'impression qu'il s'intéressent plus à la musique qu'au texte sinon que de dire que les relations texte musique peuvent s'analyser de manière très scientique. Les musicologues anglo-saxons considèrent la musicologie comme une science de la musique alors qu'en France et au Québec la tradition musicologique est plutôt musico-lexicographique, donc quelque chose qui a relève plutôt de la littérature et donc si l'on s'intéresse à la littérature on focalisera son intérêt plus vers l'histoire qui est racontée, sur la poésie et l'on fera plus de rapports avec les aspects anecdotiques de la chanson. Parfois certaines personnes demandent à Gilles Vigneault (Fecteau en est le pianiste), "vous avez écrit cela dans quelles circonstances et pourquoi, qu'est ce que cela représente de votre vie". On ne s'attendrait pas à cette question d'un musicologue universitaire (je ne parle pas des journalistes vedettes) à l'anglaise qui s'intéresserait plus à la façon dont cela est écrit et non pourquoi.

JNDS - Au Québec comment ressens-tu la différence entre musicologues anglo-saxons et français étant donné que le Québec est issu d'une tradition hybride ?

Bruno Fecteau - Il n'y pas beaucoup de gens qui au Québec étudie la chanson sérieusement au niveau des hautes études je dirais mis à part quelques intéressés contrairement à l'Europe où il y en a beaucoup. L'évolution de cette musique et d'où cela vient, etc. ne fait pas tant d'intérêt qu'en Europe.

JNDS - Au Québec, il y a eu, malgré tout, les enseignements de gens comme André Gaulin, Bruno Roy, Robert Giroux et ces gens là n'enseignent plus ce qui à mon avis génère moins d'intérêt dans la chanson. A l'Ecole nationale de la chanson de Granby, cela doit générer plus de carrières d'interprètes que des gens qui écrivent sur la chanson.

Bruno Fecteau - Oui, beaucoup plus de gens qui vont faire de la chanson que de l'étudier. Mais dans beaucoup de cas, Star Académie aidant, cela relève du niveau d'art mineur qui ne vaut pas la peine d'être étudié, ce qui est dommage car cela vaut vraiment la peine. Car les jeunes auteurs-compositeur-interprètes en devenir devraient apprendre leur métier beaucoup plus qu'ils ne l'apprennent en ce moment. Et leur métier est beaucoup plus de savoir sourire à la caméra, de savoir comment lever le bras au ciel quand on parle de sentiments, savoir quoi dire en entrevue, etc. Il faudrait qu'ils sachent que la chanson est un art de la communication et que la communication cela s'apprend, cela s'enseigne, cela s'analyse; il faut savoir ce que l'on fait et il y en beaucoup qui ne savent pas ce qu'ils font. Il faudrait compter sur un plus grand groupes d'individus qui s'intéressent à la chanson de façon poussée et intelligente pour pouvoir retransmettre ce savoir là, cette "science" à ces gens là. Simplement qu'il apprennent autre chose que l'enseignement d'un accord de septième avec un accord de tonique mais qu'ils apprennent pourquoi on fait cela.

JNDS - Parlons d'un type d'implication dont nous avons peu parlé, celui de l'ingénieur de son. En effet après la lecture de centaines de magazines et de livres sur la chanson, j'ai trouvé peu d'éléments à ce sujet sauf le témoignage de Robert Charlebois dans la revue française Chorus. Il est vrai que l'on commente souvent en parlant de la Renaissance de la séparation entre la musique et la poésie dans les ouvrages de poétique et d'histoire de la chanson française mais cela n'a pas répondu à toutes mes questions, notamment pour la période contemporaine. Ce que j'aimerais savoir par exemple du point de vue d'un musicien, d'un compositeur ou d'un ingénieur de son pour la période contemporaine, c'est comment cela se traduit dans la préférence accordée au texte ou à la musique en prenant appui sur des exemples.

Bruno Fecteau - Il suffit d'écouter des productions montréalaises en anglais et en français. Il y a des groupes québécois qui ont choisi de chanter en anglais et qui font un malheur.

JNDS - Je pense à Simple plan.

Bruno Fecteau - Simple plan en effet, surtout le premier. Je met n'importe qui au défi d'écouter les paroles et de comprendre à la première écoute.

JNDS - Tu penses que de la même manière, les Anglais ont du mal à se comprendre entre eux.

Bruno Fecteau - J'ai entendu des gens qui essayaient de reprendre des chansons anglaises à la première écoute et qui disent n'importe quoi. Ils entendent des ascendences, ils inventent des choses. C'est impossible de comprendre le texte à la première écoute, il faut avoir entendu le texte deux, quatre fois, dix fois ou avoir le texte en main pour savoir ce qui se dit. A côté de cela si tu écoutes le dernier disque de Jean-Pierre Ferland, de Robert Charlebois, de Mes Aïeux tu comprend tout de la première fois. Ce n'est pas un affaire de langue car je comprend l'anglais parfaitement. C'est une question de choix esthétique. Si l'on entre dans un studio où l'état d'esprit est à l'anglaise on le ressent tout de suite. Cela m'est arrivé. J'étais en train de mixer une chanson dans un studio où l'ingénieur était très clairement d'influence clairement anglo-saxonne et cela n'allait pas. Il fallait changer les fréquences des guitares, baisser le piano et éloigner les instruments à cordes un peu fort également et on fait ressortir la voix. On enlève, on dégraisse ce qui va nuire à la compréhension de la voix et tout de suite la voix vient à l'avant. C'est un petit détail mais cela fait la différence.

JNDS - C'était exactement ce que voulait savoir, c'est pragmatiquement parlant comment peut on faire ressortir la voix davantage.

Bruno Fecteau - C'est extrêmement rare que l'on entend des voix dans le type de celle de Richard Desjardins en anglais. On cherche de la belle voix classique, esthétiquement jolie comme celle de Shawn Philips, mais des voix avec du caractérère, on en entend très rarement. Ce que l'on veut ce sont de belles voix comme de jolies instruments que l'on peut intégrer dans le mélange qui soit le mixe du disque ou du spectacle qui deviendra la musique. Si l'on comprend le texte ce n'est pas grave. Ce que l'on veut c'est un couple musique/musique et puis si l'on ne comprend pas les paroles ce n'est pas grave.

JNDS - Dans les travaux sur l'opéra on a souvent évoqué cette question des rapports texte/musique au niveau de la prosodie notamment. On a souvent dit que la langue anglaise permettait de se fondre davantage dans la musique et que l'on en perd le sens textuel.

Bruno Fecteau - Pas tellement au niveau prosodique qu'au niveau du choix esthétique puisqu'il y a des chansons anglaises qui disent beaucoup de choses comme dans toutes les langues.
JNDS - Prenons le contre exemple de Leonard Cohen.

Bruno Fecteau - Leonard Cohen est une exception. C'est un poète qui met ses poèmes en musique. Je ne suis pas fou de ses interprétations mais c'est son style.

JNDS - Prenons aussi l'exemple de groupes francophones québécois qui ont chanté en anglais ou dans les deux langues The Box, Les Respectables ou April Wine qui a chanté en anglais.

Bruno Fecteau - Cela dépend des cas. The Box en anglais, The Box en français, ce n'est pas la même chose. Il y a aussi le fait que si l'on s'exprime dans une langue qui n'est pas la nôtre on ne met pas forcément l'accent sur les mêmes choses.

JNDS - C'est en somme un sujet à développer.

Bruno Fecteau - Tout à fait, c'est un autre sujet qui est celui de la relation entre la musique, la musicalité et le contenu sémantique de la langue car on ne voit pas forcément le monde de la même manière selon la langue que l'on a.

JNDS - Nous garderons alors ce sujet pour une autre fois.


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