Marc Cassivi: Vous êtes bien placé pour parler à la fois de l’évolution du regard que porte le public anglo-canadien sur la musique québécoise et sur l’évolution de la musique québécoise elle-même. Ça vous étonne d’être à la barre de l’émission À propos depuis 20 ans?
Jim Corcoran: Oui, d’autant plus que ce n’était pas mon idée au départ. C’était une proposition. J’étais heureux mais un peu sceptique. Est-ce que l’auditeur anglophone, sur son réseau, allait le prendre, l’accepter, se montrer enthousiaste? J’ai fait les premières émissions comme des pilotes et ceux qui dirigeaient CBC à Toronto m’ont dit qu’ils aimaient le ton. Il n’y avait pas de courriel à l’époque, mais on recevait des fax et des coups de téléphone de gens intrigués. Mon contrat a été renouvelé d’année en année. Parce qu’il y a toujours de nouveaux auteurs-compositeurs, l’émission n’a pas arrêté de se renouveler.
M.C.: La musique se renouvelle constamment...
J.C.: Il y a des monstres sacrés qui sont arrivés en chanson québécoise. Ça a donné une crédibilité à l'émission et à ma capacité à dénicher des talents (rires)! J'ai fait découvrir des artistes qui n'étaient pas si connus au Québec. Je n'aurais pas écouté toute la musique que j'ai écoutée si je n'avais pas eu à savoir aussi précisément ce qui se passe au Québec. Je m'oblige à vraiment fouiller et à découvrir des talents en herbe, des artistes qui passent inaperçus par manque de publicité ou de visibilité.
M.C.: Comme on apprécie au Québec des artistes français que l’on nous a fait découvrir mais qui ne sont pas nécessairement des vedettes en France, y a-t-il au Canada anglais des Québécois bien connus grâce à vous, mais qui ne le sont toujours pas au Québec?
J.C.: J’ai une drôle d’anecdote à ce sujet. Il y a six ans, je rénovais chez moi et j’ai demandé de l’aide à un jeune qui s’appelle Joseph Perreault. À un moment donné, il m’a apporté le disque d’amis à lui, en me disant que c’était bon et que ce serait amusant que je le diffuse à la radio. C’était le premier disque de Karkwa. Je l’ai adoré. Je suis instantanément devenu un fan de Karkwa.
M.C.: Vous avez eu le scoop sur Karkwa?
J.C.: Ce qui s'est passé, c'est que je disais de très belles choses en ondes de Karkwa, et que je les faisais beaucoup tourner. Il s'est trouvé que quelques mois plus tard, dans une petite salle, L'Barouf ou Le Verre Bouteille, Karkwa jouait et des auditeurs de Calgary les ont vus. Ils étaient étonnés de voir que le groupe, qui n'était pas encore connu au Québec, ne jouait pas dans une plus grande salle, devant plus de gens.
M.C.: Vous appréciez ce rôle de «talent scout»?
J.C.: J'aurais sans doute aimé qu'on fasse ça avec moi à mes débuts... Quand j'aime, j'aime. Je ne garde pas mes superlatifs que pour des artistes consacrés. Ce qui est drôle, c'est que tout ça a commencé grâce à Joni Mitchell. On m'avait demandé de l'interviewer à Musique Plus, il y a 20 ans, dans le cadre de l'émission Transit. J'ai eu la trouille, mais ça s'est bien passé grâce à Joni Mitchell. André Larivière, qui travaillait pour la CBC, a trouvé que c'était une bonne idée et m'a proposé l'émission À propos. Grâce à Joni Mitchell, je suis encore là 20 ans plus tard!
M.C.: Est-ce que vous recevez autant de réactions d'auditeurs du reste du Canada que de la communauté anglo-québécoise?
J.C.: La plupart des auditeurs viennent de l'extérieur du Québec. On reçoit des courriels de Munich, de Dublin, d'un peu partout.
M.C.: Il n'y a pas si longtemps que je suis au courant que vous animez cette émission...
J.C.: Je n'en parle pas beaucoup. Parce que ce n'est pas une émission qui s'adresse aux francophones.
M.C.: Comment avez-vous perçu l'évolution en 20 ans du rapport des Anglo-Canadiens à la musique québécoise? Est-elle mieux appréciée aujourd'hui ou l'on reste campés dans nos deux solitudes?
J.C.: Je pense que le Québec, plus que jamais, a une réputation d'envergure internationale. On n'a qu'à regarder le Cirque du Soleil. Guy Laliberté et ses acolytes ont secoué le monde. Ce qui fait que le Québec a une résonance plus prestigieuse que jamais. On s'attend à ce que le Québec soit à l'avant-garde. Il y avait des stéréotypes autrefois: la musique québécoise était une musique traditionnelle, régionale, locale. Pendant un certain temps, il y a eu surabondance de cette musique traditionnelle, tout à fait légitime pour n'importe quel peuple. C'était un cliché. Dans les années 70 et 80 en France, on s'attendait à ce que les artistes québécois arrivent avec leurs ceintures fléchées en faisant de la claquette. Puis Michel Lemieux est arrivé, La La La Human Steps, Lousie Lecavalier, Edouard Lock, Robert Lepage...
M.C.: Au Canada anglais, il y avait ce même genre de stéréotypes?
J.C.: Il y avait une méconnaissance de la musique québécoise. Parce qu'il n'y avait pas de diffusion.
M.C.: Il me semble, du moins à Montréal, que les choses ont évolué. Il y a des échanges intéressants entre artistes anglos et francos...
J.C.: J'ai été le catalyseur du jumelage de Karkwa et de Patrick Watson, dans le cadre d'une émission que j'ai faite à Winnipeg. Ça a été phénoménal. Karkwa en français, Patrick Watson en anglais. Ensemble, c'était culturellement très large. Ce n'était pas mon intention de provoquer une rencontre des cultures. Je trouvais qu'il y avait là des talents bruts qui se complétaient. Ma vocation, c'est d'abord la musique. Je suis un passeur, si on veut, mais je suis surtout un «groupie». Je ne suis pas là pour convaincre qui que ce soit au Canada anglais qu'on l'a donc l'affaire au Québec!
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