Le batteur nous offre le réveil-matin. Gentil. Avant le coup de midi, artistes et chroniqueurs de musique sont toujours logés à la même enseigne.
«Je crois que j’ai dû dépenser 60$ de café par mois durant toute la production, note Bergeron. C’est plus qu’une facture mensuelle de téléphone.»
Le journaliste sourit. On revient vers le local où le chanteur et guitariste Louis-Jean Cormier, le pianiste François Lafontaine et le percussionniste Julien Sagot nous attendent.
Le bassiste Martin Lamontagne aura du retard. Tant qu’il est à temps pour la photo… Dans le vétuste mais vaste et très bien éclairé local de répétition de Karkwa – vous devriez voir le local armoire à balais de Malajube –, on ressent encore la vibration de la création. Le groupe en a passé des semaines à accoucher de son troisième disque, l’un des plus attendus de l’année.
Si Le Pensionnat des établis n’a guère fait de vagues en 2003, il a démontré l’inventivité du groupe né il y a dix ans cette année. Les tremblements s’immobilisent, sorti deux ans plus tard, a fait vibrer mélomanes et critiques.
LES PRIX
À preuve, ce disque écoulé à 15 000 exemplaires a permis au groupe d’obtenir le prestigieux prix Félix-Leclerc aux FrancoFolies et le Félix de l’auteur-compositeur et interprète en 2006. Pression?
«La pression, c’est plutôt fuck it, raille un brin Louis-Jean Cormier. Le fait d’avoir eu une belle réaction avec le deuxième album et d’avoir gagné des prix, ça nous a juste motivés à clencher et à écrire d’autres tounes. Ça, ça nous a influencés positivement, comme une bonne tape dans le dos. C’est comme: Continuez les gars. On a réalisé qu’on ne faisait pas ça pour rien, qu’on était sur la bonne voie.»
Le Volume du vent n’est certes pas une rupture avec Les tremblements s’immobilisent, mais une continuité évidente.
«Le travail pour l’album, c’est parfois abstrait, note Bergeron. À un moment… Oui, tu te retrouves en studio et c’est là que ça sort. Mais les premières ébauches de ce disque, elles ont été faites avant la tournée des Tremblements … On «tapait» Les tremblements…, alors qu’on jouait déjà des chansons qui figurent sur cet album.»
Échapper au sort
La façade
MOUVANCE
«Finalement, quand on finit un disque, il y comme une espèce de libération et on est déjà prêt à passer à autre chose, note Cormier. Là, ça clenche! On vient de sortir de studio et on a déjà plein de nouvelles tounes.» (Fou rire de toute la bande) Moins dense au plan sonore aux premières écoutes, Le Volume du vent est doté d’arrangements plus étoffés. Au point qu’on pourrait parler d’album concept.
«Mais en même temps, c’est pas tant qu’il a un concept plutôt qu’une direction, renchérit Lafontaine. On ne se dit pas: On va faire un album concept, pas plus qu’on l’a fait pour les albums précédents. Celui-là a un côté plus orchestral que sur Les tremblements… On a poussé ça au max, mais Louis-Jean peaufiné ses textes plus que jamais.»
Les copains et les copines à bord
Pour Les tremblements s’immobilisent, Karkwa a eu droit à la collaboration de la légendaire Brigitte Fontaine. Cette fois, il y a encore des collègues au rendez-vous.
On comprend la présence de la bassiste Marie-Pierre Fournier, qui chante sur quatre titres. Après tout, n’est-elle pas la blonde de l’un des membres du groupe, qui se tord de rire quand le journaliste en fait la remarque? Mais il y a aussi Patrick Watson, Elisabeth Powell (Land of Talk), Olivier Langevin (Galaxie 500), etc.
«Certaines collaborations ont été naturelles», note Louis-Jean Cormier, en regardant François Lafontaine, plié en deux.
«D’autres étaient pensées depuis longtemps. C’était clair, net et précis depuis un an qu’Elisabeth Powell allait chanter dans Échapper au sort. Il fallait une voix de femme et ça allait être cette voix-là. Faire chanter des Anglais en français, c’est notre trip, et comme on est bons amis avec Pat Watson… Et Le Compteur, je trouve que c’est très «Pat Watson ».
«Même chose pour Dormir le jour avec Olivier, note Lafontaine. On savait qu’il allait avoir du fun. C’est ce qui est bien avec les collabos. À un moment, tu réalises que ça prend ça pour telle chanson.»
«Et pour revenir à la blonde… – fou rire général –, poursuit Cormier, elle avait déjà chanté dans Les tremblements. C’est une voix extraordinaire qui va bien avec la mienne.»
Engagement social et musical
Au travers des textes et des musiques, il ressort des évidences de l’œuvre de Karkwa. Groupe bien de son temps, le band est réfléchi, engagé au plan social, mais pas revendicateur au plan politique.
Au même titre que la musique de Karkwa transporte l’auditeur sans l’agresser, Louis-Jean Cormier observe, scrute, mais ne juge pas.
«On a toujours été comme ça. Des fois, on se permet de déborder, mais ça reste de la suggestion, note Cormier. Notre but, c’est d’écrire et de décrire. On ne veut pas proclamer, protester des affaires… On n’a pas le bagage sociopolitique non plus pour aller défendre des trucs aux côtés de Loco Locass qui martèlent ça d’un doigté de chef.»
«On est des gens d’opinion, mais on n’est pas un band politique, assure Stéphane Bergeron. Ce qui ne veut pas dire qu’on est mous. Si quelque chose nous fait dire: Ça n’a pas de bon sens, on va le dire.»
En bref, la notion galvaudée de modèle de la société que les musiciens représentent aux yeux des Américains et des Canadiens de l’Ouest, les membres de Karkwa en prennent et en laissent.
«Ça a de l’importance, mais c’est du cas par cas, assure Cormier. On a la possibilité de s’adresser à plusieurs personnes et il faut le faire, mais ça ne me tente pas de m’embarquer dans toutes les luttes. On un engagement social dans les chansons. Le fait de faire de la musique, c’est une forme d’engagement. Faire dans la marge, tirebouchonner des chansons et chanter en français, c’est un engagement en soi.»
IMAGES FORTES
Des titres comme Mieux respirer, Le Temps mort et Combien ont plusieurs niveaux de lecture, ce qui est dans la manière de Cormier.
«Nous autres, on veut plus rester dans la suggestion d’images, comme des tableaux, ajoute-t-il. Je trouve qu’il y a une force dans la suggestion. Par exemple, Échapper au sort décrit des choses qui arrivent encore aux jeunes: être retrouvés morts, gelés, dans des bancs de neige. Au lieu de chialer et de demander ce que le gouvernement fait pour lutter contre ça, juste de décrire la situation, ça marque. Sur le disque, ça tourne beaucoup autour du stress, du travail, du milieu urbain. C’est ça les thématiques qui reviennent. Il y une ligne directrice assez forte, mais on n’a pas écrit de scénario.»
S’il y a des titres à plusieurs niveaux de lectures, il y en a qui sont rentre-dedans, comme La Façade et Le Volume du vent, qui se concluent avec des crescendos de piano.
«Je suis un gros buzzé de musique minimaliste, dit Lafontaine. Je voulais qu’on pousse ça, sans que ça vire trop King Crimson, sans que ça soit trop hypnotisant, comme Philippe Glass, où tu te sens parti après 15 minutes.»
KARKWA
–Stéphane Bergeron
–Louis-Jean Cormier
–François Lafontaine
–Martin Lamontagne
–Julien Sagot
–Le Pensionnat des établis (2003)
–Les tremblements s’immobilisent (2005)
–La Volume du vent (2008)
–www.karkwa.com
–www.myspace.com/karkwa
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