Karkwa la grande réunion d'octobre 2017

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vendredi 25 avril 2008

Karkwa - le troisième album

Cinq garçons dans le vent... et la tourmente!


Une sorte de polyphonie corse à la québécoise traverse les chansons du nouvel album de [karkwa], le meilleur groupe rock d'ici depuis Les Colocs, tel un choeur d'âmes errantes, telle la plainte sans fin de tout un monde de déclassés, de laissés-pour-compte, dont la souffrance souffle par bourrasques, jusqu'à constituer un sacré volume... L'album s'intitule Le Volume du vent, et il est magistralement sombre. Rencontre dépeignée.


Quand même pas au Snake Pit? Eh oui, au Snake Pit. Les cinq gars de [karkwa], le groupe phare du Québec rock de cette décennie, ont leur local dans la même bâtisse de la rue Iberbille où, il y a vingt ans tout juste, je faisais mon propre ramdam avec des copains. Gros flash mauve. On appelait ça le Snake Pit. On pratiquait au sous-sol, dans un placard, l'été c'était l'Amazonie, d'où l'appellation. [karkwa] occupe le grand local à l'étage, avec fenêtres (qu'on ne peut ouvrir, rapport au bruit). Lieu vaste et vétuste. «Ça nous prenait grand: on a beaucoup d'équipements», explique Louis-Jean Cormier. Je lui dis mon étonnement: le Snake Pit, dans ma tête, c'était pas pour les vrais groupes qui font des disques plébiscités et trois spectacles différents en trois soirs aux FrancoFolies. Au mieux pour les piocheux dans mon genre. Dites donc, les gars, c'est encore la galère, [karkwa], au troisième album?


«C'est de la belle survie», résume Cormier. Certains ont des familles, le claviériste François Lafontaine s'est acheté une maison («[...] et je vais payer pour jusqu'à la fin de mes jours», ajoute-t-il en riant), mais on n'engrange pas les REER. Cormier rigole: «Moi, quand j'ai un peu d'"over", je m'achète une guit'. Une bonne guitare, ç'a un meilleur rendement qu'un REER: je peux la revendre trois fois le prix. On n'est pas à plaindre, on est heureux. On crée sans contrainte, et on a un salaire. Et on a des à-côtés: je fais de la réalisation d'albums [l'excellent À côté d'la track de David Marin, tout récemment], je joue avec d'autres. Ça paye, ça aide. Et ça fait aussi partie du plaisir

Puis, il est «trop tard pour revenir en arrière», comme le dit la chanson Le Compteur, qui ouvre Le Volume du vent, troisième album de [karkwa] en huit ans d'existence intense. Une vie de groupe rock ne se vit pas dans le même espace-temps que le commun des mortels. Si ça vieillit autour, c'est un peu toujours la gang d'ados à l'intérieur: «Pendant que les enfants chassent les vieux / Au pas lourd / Moi, je ne vois rien, inconscient de courir sur les mains... » De ce contraste plus flagrant à trente ans qu'à vingt, de ce déphasage parfois malaisé, est né l'album. «Quand tu fais de la musique, des tournées, tu perçois tout comme si tu étais à l'extérieur du roulement normal de la vie, commente le batteur Stéphane Bergeron. C'est une drôle d'impression, parce que tu vieillis quand même. T'as l'impression d'être à côté de la société.»

Sentiment d'exclusion qui n'est pas si loin de celui du sans-abri, du fou, du désenchanté, du dépressif, à cette différence fondamentale près: le musicien choisit sa voie parallèle, et en jouit. Ça n'empêche pas une empathie certaine envers les exclus de toute provenance. Une sensibilité accrue à la souffrance des laissés-pour-compte. «Quand t'es en studio, t'es ailleurs, poursuit Bergeron. De 11h à 2h du matin, tous les jours, perdu dans la musique. Et quand tu sors dehors, t'es comme mésadapté. T'écoutes plus les nouvelles, tu sais pas ce qui se passe. T'es comme un fantôme.»

Un album peuplé de fantômes

Le Volume du vent est peuplé de fantômes. D'âmes errantes. On les entend un peu partout: des voix qui s'immiscent entre les musiques et les textes, tout un tas de voix qui s'entremêlent, se font et se défont. On dirait du vent, parfois doux, souvent violent, tourmenté. On pense aux polyphonies corses, on pense aussi à la cacophonie de voix dans la séquence de traversée du temps dans le film 2001: odyssée de l'espace. «Au départ, récapitule Cormier, on voulait qu'il y ait beaucoup de voix en harmonie. Puis on s'est laissés emporter là-dedans. C'est devenu des envolées de quatre ou cinq voix l'une par-dessus l'autre, sur plusieurs octaves. Toujours sans paroles. Ça nous faisait une sorte d'instrument humain.» Le résultat est endémique (et envoûtant, et inquiétant, et fascinant): ce vent de voix épouse les mélodies des cordes, suit les licks de guitare, part en peur et puis se calme et repart en peur, s'insinue entre les strates du rock de [karwka] comme de la lave en fusion. Tout l'album en est imprégné, habité. Comme si tout un peuple squattait Le Volume du vent.

Comment aimer dans une telle tourmente? C'est ce dont parle Deux lampadaires. Comment la tempête familiale peut-elle mener quelqu'un à mourir gelé dans un banc de neige? C'est le propos d'Échapper au sort. Combien de temps encore résisterons-nous au vent mauvais, se demande Cormier dans Combien: «Combien d'années / D'armées décimées / Combien d'argent, / D'arnaques de tyrans / C'est long longtemps... » Comment parvenir à ouvrir une brèche dans les usines à misère et que souffle un vent de liberté? À la chaîne, dernière pièce du disque, pose la question sans y répondre, mais un choeur d'enfants (les élèves de l'école Saint-Arsène) s'élève à la fin comme une grande respiration.

Dur album. Lourd album. Dur, lourd, intense, poignant et magnifique album. Entouré par ces gaillards rigolards et sympas, Cormier autant que Lafontaine, Bergeron, Julien Sagot et Martin Lamontagne, j'ai peine à croire que ça vient d'eux. «Quand t'es heureux, tu parles moins de toi que de ce que tu constates, dit Bergeron. On ressent de l'agressivité par rapport à ce qui se passe autour de nous, renchérit Cormier. L'état du monde nous rentre dedans. Alors, ça ressort.» «T'as pas besoin d'être junkie pour parler d'un junkie», ajoute Bergeron. Un minimum de perméabilité suffit, comprend-on. Plus la capacité de traduire ça en musique.

Et quelle musique! La force de [karkwa] est de même nature que les meilleurs groupes d'hier et d'aujourd'hui, d'Octobre à Radiohead en passant par Pink Floyd (écoutez Dormir le jour et ses harmonies à la David Gilmour-Rick Wright): l'expérience est totale. L'album commence, le vent nous soulève et ne nous redépose pas avant la fin. Si on veut, on peut s'attacher aux textes, les laisser résonner longtemps. Si on veut, on peut s'abandonner aux modulations des musiques, tout aussi longtemps. Dans Le Solstice, le texte issu d'un poème de Pierre Nepveu est au moins aussi prenant que la séquence instrumentale répétitive à la Steve Reich. «Si ça donne ça, c'est qu'on a réussi quelque chose», apprécie Bergeron. Cormier poursuit: «[karkwa], ç'a toujours été la quête du mariage parfait entre les textes et la musique. Mais ça vient toujours de la musique. La musique dicte le thème. C'est pas de la chanson française qu'on fait. C'est du rock au Québec.»

Je dirais même plus: c'est du [karkwa]. Ce qui n'est pas rien, après 50 ans d'histoire du rock et mille millions de métissages. Avoir un son, un style à soi, ça relève de l'exploit. «Ça s'est construit sans qu'on y pense, nuance Lafontaine. Mais c'est là, on le constate. Quand on est sortis du mastering à 5h du matin, après deux nuits blanches, Louis-Jean, moi et Mathieu [Parisien, coréalisateur, preneur de son et membre honoraire], je me souviens que Louis-Jean a dit: "Ça, ça sonne comme nous autres."» Cormier sourit: «Je pense que c'est la première fois que je disais ça à propos de [karkwa]. On était brûlés, on ne savait plus quelle journée on était, mais on était pas mal heureux.» Gageons qu'il ventait un peu.

Sylvain Cormier Le Devoir

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