Ah! Ils sont forts, les gars de Karkwa. Ils commencent avec presque rien, petites notes au piano par François Lafontaine, petites notes en harmonie au xylophone par Julien Sagot, on dirait une comptine, et puis Louis-Jean Cormier s'insère mine de rien, gratte sans forcer sur son électrique un accord insistant, sa voix s'insinue comme un courant d'air dans les interstices, et puis bang! Bang! Bang! C'est l'assaut. Le blitzkrieg. La tornade. La fin du monde. Et puis c'est à nouveau le calme, on ramasse ses morceaux. Et puis bang! Bang! Bang! Bombardement de tous les sens. À la fin de la chanson, dix minutes plus tard, on est à la fois laminés, lessivés, abasourdis, ravis, absorbés. Absorbés, surtout. On est dedans. Aspirés dans le trou noir. Abandonnés à l'expérience Karkwa. Après deux chansons, quelqu'un s'écrie: «Hostie de beau voyage!» Louis-Jean Cormier tempère: «On vient juste de commencer... Prends ton gaz égal...»
Eh! Pas moyen de prendre son gaz égal, Louis-Jean! D'entrée de jeu, on perd toute velléité d'indépendance, on va où Karkwa veut. On est ballotés, secoués, transportés, soulevés, on épouse les modulations extrêmes de ces chansons aux structures complexes, jusqu'à en oublier nos corps, jusqu'à oublier qu'on est là. On n'a plus de poids, il n'y a plus rien d'autre que Le Volume du vent, pour faire allusion au titre du troisième album de Karkwa, dont le spectacle d'hier soir au Club Soda était l'extension, l'extrapolation, le prétexte.
Il a suffi de cette première chanson, Le Compteur, et nous étions bons pour le compte. Après? Après, c'était à la limite de l'indescriptible. Une expérience qui ne pouvait qu'être vécue. Essayez d'imaginez Radiohead, Pink Floyd, Octobre et les Beatles compressés en un seul groupe démentiellement dense et intense. Je sais, ce n'est pas imaginable, et en plus, c'est loin de la vérité. La vérité est qu'on pouvait hier fermer les yeux et voir la musique de l'intérieur, on pouvait les garder ouverts et voir à travers la musique, c'était de la drogue sans drogue, c'était de la musique en expédition du côté noir de la force, un voyage au bout de la nuit. Ce n'était plus des chansons qui se succédaient, M'empêcher de sortir puis Échapper au sort, Le Temps mort, Oublie pas, La Marche, mais bien une seule et même immense chanson aux mille mouvements, mue par l'incroyable rythmique basse-batterie de Stéphane Bergeron et Martin Lamontagne, véritable symphonie rock pour le XXIe siècle.
Et tout ça avec un Louis-Jean Cormier malade, promettant de donner tout «malgré la patate que j'ai dans les sinus et l'acide à batterie que j'ai dans la gorge», et remplissant sa promesse. Je me demande encore comment je suis parvenu à m'extirper indemne de ce trou noir, alors que le spectacle n'en était pas encore à mi-course: d'où venait donc cette voix qui, de nulle part, me disait d'aller écrire, que c'était maintenant ou jamais? Je sais seulement que j'ai émergé en maudissant Karkwa de m'avoir enlevé une heure de Karkwa, décidant sans avertissement d'ajouter une première partie à leur première montréalaise, nous soumettant au groove insupportablement répétitif de Torngat, trio batterie-claviers-cor anglais. Il va falloir retourner voir le show en supplémentaire au Métropolis, le jeudi 11 décembre. Ce show-là ne peut exister qu'au complet.
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