Patrick Watson et Louis-Jean Cormier, de Karkwa.
Photo André Tremblay, La Presse
Par Philippe Renaud Collaboration spéciale pour La Presse
Trois petits tours et ils sont partis. La fusion entre les groupes Karkwa et Patrick Watson a pris sur la scène du Grand Théâtre de Québec jeudi dernier, puis sur celle de la plus intime salle du National, rue Sainte-Catherine, le lendemain et hier soir.
La fusion musicale dont nous avons été témoins vendredi soir dernier tient la comparaison avec une fusion d'un autre ordre. Nucléaire. Dans le sens où, oui, ensemble, les noyaux des deux groupes en ont formé un beaucoup plus lourd, dégageant pendant le processus une quantité d'énergie carrément assourdissante.
Karkwa est plus rock, Watson est plus pop, mais tous deux partagent cette curiosité pour les textures sonores audacieuses et les arrangements touffus. Sur scène, l'un sans l'autre cherche à étendre son univers harmonique dans des limites déjà tracées par leurs enregistrements respectifs.
Or, il s'est passé quelque chose d'inattendu et de terriblement fascinant au National, vendredi soir dernier. Karkwatson a outrepassé les limites inhérentes au répertoire des deux parties qui constituent ce supergroupe de neuf fantastiques musiciens.
Au lieu d'un dosage entre le son de l'un et le répertoire de l'autre, au lieu de la recherche d'un équilibre qui ferait de Karkwatson la somme de Karkwa et Patrick Watson, le projet a plutôt servi d'exutoire aux musiciens. En bon français, ça garrochait dans les brancards.
Karkwatson était puissant, pesant, heavy, physique beaucoup plus que cérébral. Un défoulement collectif. Eux sur scène, nous dans la salle, ébahis par un raffinement qui n'était pas celui d'instrumentistes au sommet de leur art et de leur technique. Nous étions cloués par l'affront qui nous était généreusement fait et que nous avons encaissé sans rechigner.
Ainsi, en ouverture, les neuf musiciens sur scène, avec Watson recroquevillé sur son piano côté jardin, entonnant quelques lignes de Closer to Paradise pendant qu'un sourd vrombissement occupe progressivement la salle, tel un moteur d'avion poussant, avec la force nécessaire, au décollage. Au centre de la scène, Louis-Jean Cormier prend à son tour les commandes et lance Combien (du récent album Le volume du vent).
Les premières interprétations-réadaptations sont boiteuses. Les deux batteurs et Julien Sagot (percus) mettent plusieurs minutes avant de taper en parfaite synchronisation. Les guitares, pesantes, dérapent allègrement dans le fouillis sonore. Karkwatson cherche sa vitesse de croisière, mais ne regarde pas trop où il se dirige. Le chaos.
Puis, la lumière. Au bout de trois chansons, Karkwatson plonge dans L'épaule froide (de Karkwa, Les tremblements s'immobilisent). Au début, la chanson est telle quelle, sinon pour le rythme, vissé par deux batteurs, que traîne la voix de Cormier comme un boulet. Watson aide son ami, faisant l'harmonie avec sa voix de tête - le chanteur de Karkwa rendra la politesse à Watson sur ses compositions.
«On lévite souvent...», dit la chanson. Or, on a lévité: L'épaule froide version Karkwatson a été augmentée d'une finale soufflante, épuisante. Tout d'un coup, c'était Mogwai, c'était Godspeed You! Black Emperor, c'était couche sur couche de basses, de claviers, de guitares, amenées avec discernement et sans retenue. L'énergie mal contrôlée des 15 premières minutes avait été harnachée. Le proverbial mur du son, fracassé devant nos tympans.
Les 30 prochaines minutes ne nous ont pas donné de répit, dérobant ces chansons familières pour les badigeonner d'une couche ou deux de bruit. On a vu des étoiles! Au bout de tout ça, un peu de calme, un peu plus de la personnalité de Watson, dont les chansons prenaient des airs «Tom Waits post-rock».
Une grande complicité
La glace brisée, la complicité entre les musiciens des deux groupes crevait les yeux, donnant plusieurs beaux dialogues entre les guitaristes Cormier et Simon Angell, et de petits moments de grâce entre Cormier et Watson, interprétant à la guitare acoustique des inédites comme Man Like You.
Inégal, mais rempli de brillants passages, le concert de Karkwatson est de ces moments inédits et magiques pour lesquels il faut remercier les neuf musiciens parce qu'il était totalement gratuit.
Notre scène musicale pullule de rencontres musicales scriptées, télégraphiées, arrangées par le metteur en scène. Un p'tit duo pour telle ou telle émission de télé, un autre pour le spectacle de la Saint-Jean ou pour tel événement des Francos...
Dans ce cas-ci, personne n'avait demandé une collaboration entre Karkwa et Patrick Watson. Elle venait du coeur, de l'amitié entre collègues, elle est le fruit d'une passion commune. Ils ont choisi de partager ça avec nous. Gracias, messieurs.
Par Philippe Renaud Collaboration spéciale pour La Presse
Trois petits tours et ils sont partis. La fusion entre les groupes Karkwa et Patrick Watson a pris sur la scène du Grand Théâtre de Québec jeudi dernier, puis sur celle de la plus intime salle du National, rue Sainte-Catherine, le lendemain et hier soir.
La fusion musicale dont nous avons été témoins vendredi soir dernier tient la comparaison avec une fusion d'un autre ordre. Nucléaire. Dans le sens où, oui, ensemble, les noyaux des deux groupes en ont formé un beaucoup plus lourd, dégageant pendant le processus une quantité d'énergie carrément assourdissante.
Karkwa est plus rock, Watson est plus pop, mais tous deux partagent cette curiosité pour les textures sonores audacieuses et les arrangements touffus. Sur scène, l'un sans l'autre cherche à étendre son univers harmonique dans des limites déjà tracées par leurs enregistrements respectifs.
Or, il s'est passé quelque chose d'inattendu et de terriblement fascinant au National, vendredi soir dernier. Karkwatson a outrepassé les limites inhérentes au répertoire des deux parties qui constituent ce supergroupe de neuf fantastiques musiciens.
Au lieu d'un dosage entre le son de l'un et le répertoire de l'autre, au lieu de la recherche d'un équilibre qui ferait de Karkwatson la somme de Karkwa et Patrick Watson, le projet a plutôt servi d'exutoire aux musiciens. En bon français, ça garrochait dans les brancards.
Karkwatson était puissant, pesant, heavy, physique beaucoup plus que cérébral. Un défoulement collectif. Eux sur scène, nous dans la salle, ébahis par un raffinement qui n'était pas celui d'instrumentistes au sommet de leur art et de leur technique. Nous étions cloués par l'affront qui nous était généreusement fait et que nous avons encaissé sans rechigner.
Ainsi, en ouverture, les neuf musiciens sur scène, avec Watson recroquevillé sur son piano côté jardin, entonnant quelques lignes de Closer to Paradise pendant qu'un sourd vrombissement occupe progressivement la salle, tel un moteur d'avion poussant, avec la force nécessaire, au décollage. Au centre de la scène, Louis-Jean Cormier prend à son tour les commandes et lance Combien (du récent album Le volume du vent).
Les premières interprétations-réadaptations sont boiteuses. Les deux batteurs et Julien Sagot (percus) mettent plusieurs minutes avant de taper en parfaite synchronisation. Les guitares, pesantes, dérapent allègrement dans le fouillis sonore. Karkwatson cherche sa vitesse de croisière, mais ne regarde pas trop où il se dirige. Le chaos.
Puis, la lumière. Au bout de trois chansons, Karkwatson plonge dans L'épaule froide (de Karkwa, Les tremblements s'immobilisent). Au début, la chanson est telle quelle, sinon pour le rythme, vissé par deux batteurs, que traîne la voix de Cormier comme un boulet. Watson aide son ami, faisant l'harmonie avec sa voix de tête - le chanteur de Karkwa rendra la politesse à Watson sur ses compositions.
«On lévite souvent...», dit la chanson. Or, on a lévité: L'épaule froide version Karkwatson a été augmentée d'une finale soufflante, épuisante. Tout d'un coup, c'était Mogwai, c'était Godspeed You! Black Emperor, c'était couche sur couche de basses, de claviers, de guitares, amenées avec discernement et sans retenue. L'énergie mal contrôlée des 15 premières minutes avait été harnachée. Le proverbial mur du son, fracassé devant nos tympans.
Les 30 prochaines minutes ne nous ont pas donné de répit, dérobant ces chansons familières pour les badigeonner d'une couche ou deux de bruit. On a vu des étoiles! Au bout de tout ça, un peu de calme, un peu plus de la personnalité de Watson, dont les chansons prenaient des airs «Tom Waits post-rock».
Une grande complicité
La glace brisée, la complicité entre les musiciens des deux groupes crevait les yeux, donnant plusieurs beaux dialogues entre les guitaristes Cormier et Simon Angell, et de petits moments de grâce entre Cormier et Watson, interprétant à la guitare acoustique des inédites comme Man Like You.
Inégal, mais rempli de brillants passages, le concert de Karkwatson est de ces moments inédits et magiques pour lesquels il faut remercier les neuf musiciens parce qu'il était totalement gratuit.
Notre scène musicale pullule de rencontres musicales scriptées, télégraphiées, arrangées par le metteur en scène. Un p'tit duo pour telle ou telle émission de télé, un autre pour le spectacle de la Saint-Jean ou pour tel événement des Francos...
Dans ce cas-ci, personne n'avait demandé une collaboration entre Karkwa et Patrick Watson. Elle venait du coeur, de l'amitié entre collègues, elle est le fruit d'une passion commune. Ils ont choisi de partager ça avec nous. Gracias, messieurs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire