Figurant parmi les musiciens les plus accomplis de leur génération, les membres de Karkwa nous ont habitués à de l’inattendu, du peaufiné et du grandiose au cours de la dernière décennie. Les chemins de verre, quatrième disque du quintette à paraître mardi, englobe tous les qualificatifs, quoique le processus créatif semble être passé beaucoup plus par des chemins de traverse que de verre.
Comprenez par là que Karkwa a suivi son instinct qui s’est avéré plus que payant ces dernières années et qu’il n’a pas nécessairement opté pour la ligne droite. Les boys étaient habitués à enregistrer chez nous : presque toute la musique comprise sur le nouveau compact a vu le jour en France. Le groupe est reconnu pour se présenter en studio avec une préproduction aussi sérieuse qu’achevée : il n’y a pas eu de préproduction.
Bon nombre de leurs compositions marquantes d’antan se savourent lentement, au fur et à mesure qu’on découvre les couches organiques et stylistiques qui s’y rattachent : ici, un tas de chansons se fredonnent dès la première écoute. La parution de chaque nouvel album était l’occasion pour le band de se lancer derechef dans la production du suivant et d’entreprendre une tournée. Repos complet cet été, assurent cette fois les membres du groupe.
Exode dans l’Hexagone
C’est lors de ses épisodiques tournées en Europe que le groupe s’est attaqué à la création de chansons, dans un manoir où était logé un studio nommé La Frette, situé en banlieue de Paris.
« C’était pendant les tournées françaises, confirme le pianiste–claviériste François Lafontaine. On partait pour des périodes d’un mois. À un moment, t’as pas de show tous les soirs. On connaissait quelqu’un qui avait un studio dans un manoir, et il nous a fait un prix correct (rire collectif). Des fois, t’as cinq jours de congé et il faut que tu loges neuf gars. Et puis, on avait des riffs en banque. Un peu de matériel, mais rien qu’on avait travaillé ensemble. Et ça s’est mis à sortir. Une toune par jour… »
« Et une toune par jour très habillée, renchérit Louis-Jean Cormier. La plupart des paroles sont arrivées longtemps après, mais les mélodies, la musique, les progressions d’accords... On avait 26 ou 27 terrains de jeux (N.D.L.R. : comprendre, autant de chansons potentielles). On n’allait pourtant pas là dans le but de faire une production d’album. On allait voir ce qu’on avait comme « viande » et on s’est fait prendre à notre propre jeu.
Recherche sonore
« J’ai été vraiment surpris de constater combien un endroit pouvait être aussi inspirant, poursuit Cormier. Ça explique beaucoup la facture du disque. L’autre affaire, c’est la méthode. On a pris une chanson et on l’a grossie en partant de rien. On l’a montée, l’a montée, l’a montée… On sentait une excitation dans tous les membres du groupe. On a utilisé le manoir au complet. Les chambres, le hall d’entrée, la cage d’escalier… »
– La cage d’escalier ? Comme John Bonham avec Led Zeppelin ? C’est pour ça qu’on entend des percussions dont on a du mal à identifier la provenance ?
« On essayait plein d’affaires », assure le batteur Stéphane Bergeron qui, avec Julien Sagot (percussions), a eu un plaisir fou à concocter cet album qui contient quelques rythmiques vraiment pas piquées des vers.
« À un moment, j’ai tenu le tempo d’une main, avec l’autre dans le dos, explique Bergeron. C’était écœurant ! Pour Julien, on avait installé son matériel en bas de la cage d’escalier. Et pour créer un effet de pendule, on avait accroché un micro qui balançait en haut. »
« C’est peut-être des concours de circonstances, mais je pense que Les chemins de verre et L’acouphène, ce sont des chansons aux tempos 4/4 ben speedés qu’on n’aurait pas abordées autrement, ajoute Cormier. Ça venait aussi chercher le trip de folk qu’on entend dans d’autres chansons comme Marie tu pleures. »
Relever les défis
Tu as beau être un as de la production, tu ne sais jamais quand l’inspiration va venir te visiter. Karkwa a laissé libre cours à ses envies, mais s’est aussi un peu forcé la main.
« On s’est donné des défis, assure Cormier. Ce qui me reste de cette production… Et je parle ici sur le plan de l’écriture, c’est que je me disais toujours : Je ne m’assois jamais devant une page blanche. J’attends le flash. Cette fois, je me suis donné des devoirs. Assis-toi et écris ! Je me suis donné une occasion de sortir quelque chose. On s’est mis dans une position délicate. »
« C’est pas juste l’écriture, ajoute Lafontaine. Prends les voix qui sont plus à l’avant-plan et les chœurs. C’est quelque chose qu’on voulait faire, quelque chose qu’on a essayé un peu avec Le volume du vent, mais j’avais pas l’impression qu’on avait été au bout de ça. Pour cet album, on s’est botté le cul et on chante tous ensemble.
« Depuis deux ou trois ans, on a fait des tas de choses pour nous et pour d’autres personnes. On n’avait pas de préproduction, mais on s’est pas mis de barrières créatrices non plus. C’est la somme de notre bagage et de notre vécu qui a mené à ce disque. »
Sur ce point, les gars de Karkwa ont quelques compositions plus ciblées que d’autres sur leur disque, Moi-Léger et Le bon sens étant de celles-là.
Fin de cycle ?
« Le bon sens, c’est notre soutien aux investisseurs floués, rigole Cormier. D’emblée, notre art est une forme d’engagement. Mais souvent, nos thèmes font dans la suggestion d’images et de tableaux. Tout le monde peut ainsi trouver sa signification personnelle. On aborde aussi des choses personnelles. Dans Le volume du vent, on était préoccupés par le temps qui passe, le temps qui va vite. Là, notre contexte a changé. On est à l’aise avec la trentaine. Ça, c’est le Moi-Léger. »
À preuve, cette nouvelle parution de Karkwa ressemble pas mal à ce qu’on pourrait désigner comme étant la fin d’un cycle. Le point final d’une trilogie formée des albums Les tremblements s’immobilisent, Le volume du vent et Les chemins de verre.
Cet été : repos. Parce que les gars n’ont pas chômé depuis cinq ans, qu’ils ont offert une quantité de spectacles ici et ailleurs, qu’ils ont participé à tant de projets et de disques de proches et parce qu’il y a plein de nouveaux membres de Karkwa qui sont sur le point de naître. Cormier sera papa pour la deuxième fois le mois prochain, la compagne de Lafontaine, Marie-Pierre Arthur, attend la cigogne cet été, et Sagot a un bambin de 1 an.
« Après avoir improvisé toute notre vie depuis deux ans, on a trouvé le temps de finir notre disque, et là, on se donne un break. Il y aura d’autres choses à l’automne », conclut Bergeron.
Écrit par Philippe Rezzonico, Samedi, 27 mars 2010
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