Francophonie . Quatre siècles après que les Français ont émigré au Québec, les Québécois débarquent à Paris. Décryptage d’un phénomène musical et plongée dans cette « nouvelle scène ».
Le 19 mai, la Québécoise Ariane Moffatt avait ostensiblement décidé de transformer la Maroquinerie, salle de concert parisienne, en une boîte de nuit, remplie à ras bord. Le public conquis reprenait en choeur les refrains de Tous les sens, tout en se déhanchant sur les rythmes électro-folk, reggae ou pop de la jeune pousse. Les novices, invités par des amis, étaient sous le charme. Le même soir, le duo Tricot Machine concurrençait sa compatriote à la Cigale, en invitant son auditoire à voyager dans son univers singulier. Quel- ques jours plus tôt, Coeur de pirate, pseudonyme sous lequel se cache Béatrice Martin, une jeune artiste de dix-neuf ans, débarquait de Montréal à la Boule noire : salle comble pendant trois jours.
réinvestir le territoire
Quelques mois auparavant, c’était au tour des - Cowboys fringants d’entraîner les foules dans un Olympia bondé avant de revenir cet automne pour… une série de Zénith ! Toujours plus nombreux, dans des salles toujours plus grandes… 401 ans après que les Français ont conquis Québec, leurs descendants d’outre-Atlantique auraient-ils décidé de réinvestir le territoire, en musique ?
Maurice Segall, directeur du festival des Déferlantes francophones, invite à la prudence : « Les succès des Québécois en France comme celui que connaissent les Cowboys fringants se comptent sur les doigts d’une main. » Et d’ajouter : « Entre un Pierre Lapointe, une Ariane Moffatt, Coeur de pirate ou Mes aïeux, les différences sont importantes. La seule chose qui les réunit c’est d’être québécois ». En effet, ces artistes sont incontestablement sur des registres variés. Pierre Lapointe se situe dans une lignée qui rappelle Gainsbourg. Mes aïeux ou les Cowboys fringants parsèment leurs CD de titres engagés et d’autres, comme Karkwa, peaufinent un rock tendance Noir Désir. Perdurer n’est pas non plus chose facile quand un océan sépare l’artiste d’un de ses lieux de production. Ainsi, Luc de Larochellière, après avoir percé avec Cash City, puis Sauvez mon âme, dans les années 1990, a été oublié des radios. Il retente désormais sa chance avec un bel album, Un toi dans ma tête.
Le marketing, parfois, vient en renfort. Coeur de pirate, par exemple, a accouché d’un premier album dont les titres sont un peu naïfs et les mélodies simples. En France, sa maison de disques a ajouté un duo avec Julien Doré, histoire de la « lancer ». Ariane Moffatt a dû subir aussi quelques arrangements marketing, mais « sur la forme, aucun sur le contenu », précise-t-elle : la pochette a été revue, pour l’adapter au public français, et deux inédits ont été ajoutés. Sur le fond, elle reste
la même, fidèle à son métissage musical et investie dans ses trouvailles sonores. Elle montre bien que les artistes québécois n’ont pas besoin de « gommer leur québécitude » pour conquérir un public hexagonal, selon les mots de Maurice Segall. Pourtant, « des maisons de disques vont jusqu’à leur demander d’effacer leur accent, c’est regrettable », déplore ce fin connaisseur de la musique francophone d’Amérique du Nord. Ce pas, Ariane Moffatt refuse de le franchir : « Les allers-retours que j’ai effectués m’ont aidée à me forger ma propre identité, à prendre confiance en ce que je suis et d’où je viens. » Et d’affirmer, sourire aux lèvres : « On verra si, ici, le public adoptera mon accent et mes particularités. »
Le petit accent de là-bas séduirait-il donc les Frenchies ? Pour Charles Trahan, correspondant de Radio Canada à Paris, d’autres ingrédients permettent d’expliquer cet engouement pour les artistes venus de la province canadienne. « Il s’agit d’abord d’une - curiosité pour ceux qui sont intéressés par le Québec », pense-t-il. Au fil de ses reportages à la sortie des salles parisiennes, il a remarqué que « ceux qui fréquentent les concerts sont souvent déjà allés au Québec ou y ont des amis, de la famille »… Bref, la musique leur permettrait de conserver un lien avec ce pays qui les fascine. Et, surtout, « les Québécois n’arrivent pas avec le sentiment que tout a déjà été fait, ils ne portent pas sur les épaules le poids de trois générations de chanteurs, de Brassens à Higelin en passant par Renaud. Ils font une musique décomplexée ».
Décomplexée et rafraîchissante, parfois inattendue. « J’ai un pied près des États-Unis, l’autre près de l’Europe », s’amuse Ariane Moffatt. « Ce ne sont pas des artistes des États-Unis, mais des Américains qui écrivent en français avec un son particulier », analyse Maurice Segall. Et ces différentes influences imprègnent profondément ses chansons. En conservant une constante : chanter dans leur langue, le français, une façon de faire un peu de résistance alors qu’ils sont entourés de 365 millions d’anglophones. Dernier exemple en date : Catherine Major, qui ne va pas tarder à faire son apparition sur les ondes et dans les salles hexagonales. Danièle Molko, son éditrice, a « pris un pari, séduite par cette compositrice exceptionnelle, cette interprète et femme de scène étonnante ». Mais ce pari signifie aussi pour ces artistes d’outre— Atlantique « un redémarrage. Elle a accepté de passer du temps ici, de quitter son pays »… De redevenir presque inconnue alors qu’elle est sur toutes les ondes là-bas.
Quelques CD à s’offrir pour voyager au Québec :
Le 19 mai, la Québécoise Ariane Moffatt avait ostensiblement décidé de transformer la Maroquinerie, salle de concert parisienne, en une boîte de nuit, remplie à ras bord. Le public conquis reprenait en choeur les refrains de Tous les sens, tout en se déhanchant sur les rythmes électro-folk, reggae ou pop de la jeune pousse. Les novices, invités par des amis, étaient sous le charme. Le même soir, le duo Tricot Machine concurrençait sa compatriote à la Cigale, en invitant son auditoire à voyager dans son univers singulier. Quel- ques jours plus tôt, Coeur de pirate, pseudonyme sous lequel se cache Béatrice Martin, une jeune artiste de dix-neuf ans, débarquait de Montréal à la Boule noire : salle comble pendant trois jours.
réinvestir le territoire
Quelques mois auparavant, c’était au tour des - Cowboys fringants d’entraîner les foules dans un Olympia bondé avant de revenir cet automne pour… une série de Zénith ! Toujours plus nombreux, dans des salles toujours plus grandes… 401 ans après que les Français ont conquis Québec, leurs descendants d’outre-Atlantique auraient-ils décidé de réinvestir le territoire, en musique ?
Maurice Segall, directeur du festival des Déferlantes francophones, invite à la prudence : « Les succès des Québécois en France comme celui que connaissent les Cowboys fringants se comptent sur les doigts d’une main. » Et d’ajouter : « Entre un Pierre Lapointe, une Ariane Moffatt, Coeur de pirate ou Mes aïeux, les différences sont importantes. La seule chose qui les réunit c’est d’être québécois ». En effet, ces artistes sont incontestablement sur des registres variés. Pierre Lapointe se situe dans une lignée qui rappelle Gainsbourg. Mes aïeux ou les Cowboys fringants parsèment leurs CD de titres engagés et d’autres, comme Karkwa, peaufinent un rock tendance Noir Désir. Perdurer n’est pas non plus chose facile quand un océan sépare l’artiste d’un de ses lieux de production. Ainsi, Luc de Larochellière, après avoir percé avec Cash City, puis Sauvez mon âme, dans les années 1990, a été oublié des radios. Il retente désormais sa chance avec un bel album, Un toi dans ma tête.
Le marketing, parfois, vient en renfort. Coeur de pirate, par exemple, a accouché d’un premier album dont les titres sont un peu naïfs et les mélodies simples. En France, sa maison de disques a ajouté un duo avec Julien Doré, histoire de la « lancer ». Ariane Moffatt a dû subir aussi quelques arrangements marketing, mais « sur la forme, aucun sur le contenu », précise-t-elle : la pochette a été revue, pour l’adapter au public français, et deux inédits ont été ajoutés. Sur le fond, elle reste
la même, fidèle à son métissage musical et investie dans ses trouvailles sonores. Elle montre bien que les artistes québécois n’ont pas besoin de « gommer leur québécitude » pour conquérir un public hexagonal, selon les mots de Maurice Segall. Pourtant, « des maisons de disques vont jusqu’à leur demander d’effacer leur accent, c’est regrettable », déplore ce fin connaisseur de la musique francophone d’Amérique du Nord. Ce pas, Ariane Moffatt refuse de le franchir : « Les allers-retours que j’ai effectués m’ont aidée à me forger ma propre identité, à prendre confiance en ce que je suis et d’où je viens. » Et d’affirmer, sourire aux lèvres : « On verra si, ici, le public adoptera mon accent et mes particularités. »
Le petit accent de là-bas séduirait-il donc les Frenchies ? Pour Charles Trahan, correspondant de Radio Canada à Paris, d’autres ingrédients permettent d’expliquer cet engouement pour les artistes venus de la province canadienne. « Il s’agit d’abord d’une - curiosité pour ceux qui sont intéressés par le Québec », pense-t-il. Au fil de ses reportages à la sortie des salles parisiennes, il a remarqué que « ceux qui fréquentent les concerts sont souvent déjà allés au Québec ou y ont des amis, de la famille »… Bref, la musique leur permettrait de conserver un lien avec ce pays qui les fascine. Et, surtout, « les Québécois n’arrivent pas avec le sentiment que tout a déjà été fait, ils ne portent pas sur les épaules le poids de trois générations de chanteurs, de Brassens à Higelin en passant par Renaud. Ils font une musique décomplexée ».
Décomplexée et rafraîchissante, parfois inattendue. « J’ai un pied près des États-Unis, l’autre près de l’Europe », s’amuse Ariane Moffatt. « Ce ne sont pas des artistes des États-Unis, mais des Américains qui écrivent en français avec un son particulier », analyse Maurice Segall. Et ces différentes influences imprègnent profondément ses chansons. En conservant une constante : chanter dans leur langue, le français, une façon de faire un peu de résistance alors qu’ils sont entourés de 365 millions d’anglophones. Dernier exemple en date : Catherine Major, qui ne va pas tarder à faire son apparition sur les ondes et dans les salles hexagonales. Danièle Molko, son éditrice, a « pris un pari, séduite par cette compositrice exceptionnelle, cette interprète et femme de scène étonnante ». Mais ce pari signifie aussi pour ces artistes d’outre— Atlantique « un redémarrage. Elle a accepté de passer du temps ici, de quitter son pays »… De redevenir presque inconnue alors qu’elle est sur toutes les ondes là-bas.
Quelques CD à s’offrir pour voyager au Québec :
- Ariane Moffatt, Tous les sens, Sony Music.
- Tricot Machine, Tricot machine LP, Sober & Gentle.
- Coeur de pirate, Coeur de pirate, Barclay.
- Catherine Major, Rose sang, album à venir.
- Mes aïeux, la Ligne orange, disques Victoire-Socadisc.
- Karkwa, le Volume du vent, Wagram.
- Luc de Larochellière, Un toi dans ma tête, disques Victoire-Socadisc.
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