Fin 2008, le disque
Douze hommes rapaillés, avec ses 12 poèmes de
Gaston Miron mis en musique et interprétés par des chanteurs populaires, trône au top 10 des ventes d'albums. Le spectacle inspiré du disque attire, lui, près de 10 000 spectateurs. En pleine crise du CD et de la scène, la poésie vient à la rescousse...
Dans dix jours sera lancé Douze hommes rapaillés, volume 2. Douze autres magnifiques poèmes de Miron, chantés par les douze mêmes hommes, avec encore plus de souffle, de rythme, de ferveur. Et de poésie.
Le jour de ses 30 ans, en mai dernier, Louis-Jean Cormier recevait ses amis chanteurs et musiciens pour l'ultime journée d'enregistrement du deuxième volume de Douze hommes rapaillés. L'atmosphère était joyeuse, mais aussi propice au travail: le réalisateur et arrangeur doué qu'est Cormier avait prévu que tous les interprètes viennent faire des voix sur les enregistrements des uns et des autres. «Et on a même fait une chorale des rapaillés pour certaines chansons, précise l'auteur-compositeur-chanteur de Karkwa. Je voulais que le côté familial, amical, qui s'est développé depuis un an et demi entre nous, on l'entende sur le deuxième disque.» On l'entend, et tous ces «caméos» vocaux ajoutent beaucoup à l'entreprise.
On ne le cachera pas: le succès du premier album a surpris tout le monde. Des ventes de 36 000 exemplaires, de nos jours, c'est énorme. Mais c'est tout simplement incroyable pour un disque hommage, et à un poète, qui plus est! Et pourtant...
Pas évident de concevoir une suite à la chose, dans les circonstances. «Je n'avais pas peur, dit Cormier. En fait, je me faisais surtout le raisonnement suivant: d'habitude, un volume 2, au cinéma, en littérature ou en musique, c'est plus banal, à quelques exceptions. On voulait éviter ça. Il fallait donc que le deuxième disque des Rapaillés soit plus «fucké», tout simplement. Qu'on aille plus loin musicalement, ne serait-ce que pour savoir jusqu'où ça pouvait rocker, du Miron.»
Eh bien, ça peut très nettement rocker. On l'avait déjà constaté en spectacle, mais disons que c'est encore plus affirmé sur l'album: «Quand les FrancoFolies de Montréal nous ont proposé, en 2009, de monter un spectacle, j'ai écrit des musiques pour sept autres chansons, explique le compositeur et chanteur Gilles Bélanger. Après les spectacles, on s'est regardés, Louis-Jean et moi, et on s'est dit qu'on pourrait en faire cinq autres, un coup parti, et poursuivre l'expérience. Mais disons qu'on a travaillé fort. Ça fait trois ans que je cherche à mettre en musique un poème dense comme Compagnons des Amériques, et c'est uniquement en mai qu'on a réussi, avec Louis-Jean, à en faire quelque chose qui se tienne.» Bélanger estime qu'il a démoli à ce jour huit ou neuf exemplaires du recueil L'homme rapaillé à force de les annoter!
«On a décidé qu'on ne ferait pas de compromis sur la longueur des chansons, sur le son qu'on voulait pour chacune, reprend-il. Et on a enregistré le deuxième disque en neuf jours, comme on l'avait fait pour le premier, une vraie neuvaine. On est devenu une gang d'amis, les 20 gars (en comptant les musiciens), on est toujours heureux de se voir. Et c'est toujours la meilleure amie de ma blonde qui nous fait à manger.»
Un univers cohérent
«Ce qui est semblable entre le premier et le deuxième, expose Louis-Jean Cormier, c'est l'idée qu'on s'en faisait, Gilles et moi: on ne voulait pas une pizza, un truc hétéroclite, mais plutôt une bulle, un univers cohérent dans lequel chacun a tout de même son individualité. Pour le deuxième album, on a pu aussi profiter des musiciens qui ont participé au spectacle, comme Guido (Del Fabro), qui est violoniste, mais aussi un incroyable bidouilleur de sons. Et puis, on a eu des idées pour aller plus loin qu'on ne l'avait été sur scène: Sentant la glaise (interprétée par Jim Corcoran) était de plus en plus rock en spectacle; quand Jim est arrivé en studio, il nous a dit qu'il était en train d'écouter Let It Bleed des Rolling Stones, ça tombait bien, on voulait justement lui proposer des arrangements encore plus rock.»
L'expérience collective des hommes rapaillés ne remet absolument pas en question la vie de Louis-Jean Cormier au sein du groupe Karkwa, qui sera en spectacle au Métropolis le 30 septembre, dans le cadre de Pop Montréal.
Mais elle lui apporte quelque chose de particulier, c'est clair: «Par exemple, comme on enregistrait au Studio Victor, qui est juste à côté de l'autoroute, j'ai eu envie d'utiliser le son incessant que font les camions, parce que ça me fait penser au bruit de la mer. Alors je me suis installé sur le balcon avec ma guitare, accompagné par le son des camions. C'est ce son qu'on entend dans Au long de tes hanches (interprétée par Cormier lui-même).»
«Ma mère utilisait une expression que j'aime beaucoup, conclut Gilles Bélanger en riant, et c'est l'expression «miouner», c'est-à-dire fredonner en faisant des «miou miou miou», chanter pour soi-même pas fort, juste pour se faire plaisir. Je pense qu'avec Douze hommes rapaillés, on a permis aux gens de chanter et de «miouner» du Miron. Et je pense que, dans 400 ans, en raison de l'incroyable force des poèmes de Miron, il y aura encore des gens qui le réciteront, le chanteront et le «miouneront»...»
Article "Douze hommes rapaillés, vol. 2 :Miron, la suite " de Marie-Christine Blais, La Presse, Publié le 21 août 2010