Pierre Lapointe est au bout du fil. Lorsqu'on lui parle de la soirée de clôture du Festival d'été, on ne voit pas son visage, mais on devine un sourire. Sourire de ravissement, sourire de fierté. «Je trouve ça super. Ce que ça dit, c'est qu'on est parvenus à se monter une carrière envers et contre tous.»
Vrai que, dans les trois cas, les carrières ont démarré assez lentement. Pendant que le bouche-à-oreille faisait son oeuvre, les musiciens cumulaient les spectacles. Le métier rentrait, comme on dit. Et lorsque leur nom a circulé davantage, ils étaient prêts à livrer la marchandise.
«On a fait notre job», commente Stéphane Bergeron, le batteur de Karkwa. «On a trouvé un public et on a réussi à vendre un nombre appréciable de disques.»
Un de leur plus grand défi aura été de se tailler une place sans l'appui de la radio commerciale. Quand Lapointe y est parvenu, avec son premier album, il n'a pu s'empêcher de lancer un «merde, réveillez-vous» aux antennes qui ignoraient les artistes émergents. Les choses ont quelque peu changé depuis cette déclaration, qui remonte à l'automne 2005, mais pas entièrement, puisque le chanteur fait face aux mêmes problèmes avec les extraits de son nouvel enregistrement, Sentiments humains, écoulé pourtant à quelque 40 000 exemplaires.
«Si je ne vendais pas de disques, je pourrais dire que je suis le seul à aimer ça, mais quand je vois la réaction du public lorsqu'on joue Au bar des suicidés - les gens l'attendent, ils chantent les paroles -, je suis un peu dépassé. Si on me disait que je ne suis pas connu, ce serait une raison poche, mais qui pourrait être défendue. Ou si je faisais de la musique expérimentale avec des verres brisés, je ne dis pas... Qu'est-ce qu'il faut faire pour passer à la radio?»
Rayonnement international
La consolation? Les antennes universitaires et communautaires, de même que Radio-Canada, font tourner les disques des trois groupes activement. Et puis le sort de leur musique ne repose pas uniquement entre les mains des radios. Nos talents, qui sont tous à leur troisième disque studio - Labyrinthes pour Malajube, Le volume du vent pour Karkwa - , ont chacun attiré l'attention de la presse étrangère. En Europe, mais aussi aux États-Unis et au Japon, dans le cas de Malajube. D'ailleurs, depuis le printemps, ils ont passé beaucoup de temps outre-mer. Pierre Lapointe compare le phénomène à celui de groupes indépendants comme Animal Collective ou Of Montreal, qui ont un rayonnement international.
Avant de parler de véritable carrière à l'extérieur, Julien Mineau se fait prudent, qu'importe si sa formation est en demande. Il note que les liens à l'étranger sont assez fragiles et peuvent être tributaires de la couverture médiatique - un article du New York Times avait eu un effet non négligeable à l'époque de Trompe-l'oeil.
«Je pense que c'est plus un trip qu'on fait. Avec Trompe-l'oeil, on avait eu de meilleures critiques et une meilleure exposure. On voit que si le projet va bien, les promoteurs investissent plus.»
Hormis la France, Karkwa s'est produit en Belgique, dans les Flandres et en Suisse. En cours de route, les gars ont croisé leurs potes de Malajube. Stéphane trouve difficile d'évaluer la fidélité du public européen. Néanmoins les salles où sa bande s'est produite étaient bien remplies.
«C'est marquant : il y a un marché qui s'ouvre, les frontières s'agrandissent. Ce n'est pas nécessairement payant, mais artistiquement, c'est stimulant.»
Pierre Lapointe, pour sa part, constate que de solides liens se sont tissés avec la France, auxquels n'ont pas échappé d'autres artistes comme Coeur de pirate ou les Cowboys fringants. Si sa carrière décolle là-bas, il tient à ce que ça se fasse graduellement, comme ç'a été le cas dans sa patrie. Il vient de signer avec le label Wagram, qui héberge Corneille, Karkwa, Albin de La Simone et Dominique A pour la distribution de Sentiments humains. La parution est prévue pour septembre.
«Pour moi, il y a quelque chose qui s'est passé il y a deux ans. J'ai donné une centaine de shows depuis ce temps et à chaque fois il y a plus de 500?personnes. La couverture de presse aussi est très bonne.»
Destins croisés
Pierre Lapointe, Malajube et Karkwa n'ont pas que des trajectoires similaires, ils partagent des intérêts communs. Ces créateurs ont tous, à un point ou à un autre, oeuvré ensemble. Lapointe a le même sonorisateur que Malajube et a chanté avec le groupe. Des gars de Karkwa ont joué avec Lapointe, et le groupe a l'habitude de jammer avec Malajube. À ce propos, Julien Mineau nous confiait qu'il ne serait pas contre l'idée, un jour, de faire un spectacle comme Karkwatson, l'aventure commune de Karkwa et de Patrick Watson. Il a déjà trouvé le nom : Malakwa.
Cela dit, c'est à trois spectacles distincts qu'on aura droit demain, sur les Plaines. Avant de lancer un long «ooooooh» de déception, sachez que des collaborations ne sont pas exclues.
«Si on écrit que Pierre va venir chanter Montréal - 40 °C avec nous, il va bien être obligé de le faire, rigole Julien Mineau. [...] On fera Québec + 30 °C ensemble!»
«Ce serait l'fun, dit Lapointe. Il n'y a rien de coulé dans le béton, mais c'est sûr qu'on aimerait que tout le monde embarque dans les chansons de tout le monde.»
«Ça se pourrait qu'on aille jouer avec Malajube, lance Stéphane. On connaît bien leurs tounes et on serait capables d'en faire quelques-unes...»
Les mythiques Plaines
Tout artiste québécois qui se respecte rêve de se produire un jour sur les plaines d'Abraham. Pierre Lapointe, Karkwa et Malajube ne font pas exception. Stéphane Bergeron, qui est originaire de Québec, raconte que d'avoir joué avec Karkwa au parc de la Francophonie, en 2006, était quelque chose d'exceptionnel. Dans ce contexte, se retrouver sur les Plaines pourrait être mémorable. Pour Julien Mineau, ce spectacle prend l'allure d'une revanche. L'an dernier, à la fête du Canada, sa troupe n'avait peut-être pas eu les conditions idéales. De son propre aveu, «ce n'était pas magique». Cette fois devrait être différente.
«Il n'y aura pas juste des fans hardcore de Malajube, alors notre but est de monter sur scène pour faire une fête pour tous...»
Les trois formations sont attirées par l'imposante scène, certes, mais encore davantage par le public. Chacun a en effet un bon mot pour ses admirateurs de Québec.
«Je ne dis pas ça pour faire mon téteux, mais il n'y a pas de meilleure place où j'ai joué et où j'ai eu une meilleure foule qu'à Québec, soutient Pierre Lapointe. Même à mes débuts, le public était là et emballé. Donc, jouer sur les Plaines, ça ne me fait pas peur du tout.»
Fausse compétition
Pierre Lapointe et les membres de Malajube et de Karkwa ne sont pas que musiciens. Ils sont aussi des fans de musique qui ont prêté une oreille attentive aux albums de leurs pairs. Aucun d'entre eux n'estime qu'une compétition s'est installée. Cependant, ils admettent qu'ils n'ont pas envie de faire du surplace ou d'être en queue de peloton.
«C'est sûr que ça nous pousse toujours à faire mieux et à se dépasser», acquiesce Julien Mineau, de Malajube.
«On a pogné de quoi quand on a entendu Trompe-l'oeil», poursuit Stéphane Bergeron, de Karkwa. «Ça nous a incités à faire un meilleur disque à notre tour.»
«Sans qu'on se le dise, on s'est tous botté le derrière en même temps, enchaîne Pierre Lapointe. On a tous envie de faire quelque chose de qualité. Quand les albums sortent, j'appelle pour les avoir avant tout le monde, car je ne peux pas attendre. J'éprouve une grande satisfaction à dire : Oui! Ils sont allés plus loin.? Ça me rend fier.
Vous voulez y aller?
QUI : Malajube, Karkwa, Pierre Lapointe
QUAND : demain, 19h
OÙ : plaines d'Abraham
ACCÈS : laissez-passer et bracelet jaune fluo
INFO : www.infofestival.com
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