Karkwa met de côté son éclectisme musical pour se concentrer sur un rock pop planant et ingénieux. Rencontre avec une brillante formation montréalaise qui risque de plaire à un large bassin d’auditeurs.
Sur son premier album, Le Pensionnat des établis paru il y a exactement deux ans, Karkwa s’éparpillait. Se lançant dans un rock planant dans la lignée britannique, le quintette poursuivait ses assauts en contrées plus africaines, parfois même funk, le tout souvent entrecoupé d’interludes jazz. Un casse-tête, certes prometteur, mais suffisamment égaillé pour perdre plusieurs auditeurs en cours de route.
BIENVENUE CHEZ LES PROS
Deuxième effort pour le groupe montréalais, Les tremblements s’immobilisent marque un changement notoire. Optant pour la fibre britannique qui nourrissait déjà la pièce Hold-up, ce nouveau disque nous convie dans les sphères pop les plus enivrantes d’Angleterre. S’ouvrant sur l’explosive La Fuite, qui émane d’un croisement entre le rock des Beatles et celui de Led Zeppelin, l’album enchaîne avec des sonorités plus modernes qui ne sont pas sans rappeler Radiohead. "Nous ne voulions pas d’un album trop éclectique, précise le chanteur-guitariste de Karkwa Louis-Jean Cormier. Notre direction musicale s’est déterminée selon celle des groupes écoutés au cours des dernières années: du folk (de Harvest de Neil Young à Eleni Mandell) et de la musique britannique." "Pour moi, ce disque est plus axé sur la chanson, lance pour sa part le claviériste François Lafontaine. C’est moins cégépien comme album."
Impossible de contredire le musicien sur ce point. Extrêmement peaufiné et regorgeant d’arrangements riches tantôt berceurs, tantôt volcaniques, Les tremblements s’immobilisent s’affranchit des comparaisons avec ce qui se fait en terre québécoise. Nettement plus audacieux qu’Exode et heureusement moins sirupeux que Projet Orange, Karkwa ose mettre ses pièces en danger et retombe toujours sur ses pattes. Que ce soit par un passage atmosphérique détonnant servi entre deux refrains canon comme sur La Marche, ou par un solo de piano jeté à la manière d’une pluie de notes désordonnées comme sur Le Coup d’État, le groupe injecte suffisamment de lui-même dans ses pièces pour ne pas être qualifié de simple suiveur de courant.
Musiciens réputés et reconnus, Louis-Jean, François, Stéphane Bergeron (batterie), Martin Lamontagne (basse) et Julien Sagot (percussions et voix) accompagnent plusieurs artistes sur scène dont Vincent Vallières, Béluga, Mara Tremblay, Le Large Ensemble et Pawa Up First. Manifestement, les gars ont de l’oreille, du talent et de l’expérience. Analysez uniquement les mélodies accrocheuses lancées par les guitares et les claviers des sublimes Vertige (un noise rock à la Broken Social Scene), La Marche et Les Vapeurs, une pièce plus prog galvanisée d’un quatuor à cordes. "Karkwa existe dans sa forme actuelle depuis cinq ans, explique François. Forcément, une dynamique s’est installée, et aller jouer avec d’autres musiciens nous permet d’en sortir et de découvrir de nouvelles contrées." Louis-Jean Cormier: "Tu entres en contact avec une tout autre manière de communiquer. C’est un échange culturel. Pour moi, jouer avec Vincent (Vallières), c’est comme aller apprendre l’anglais en Ontario. Je reviens ensuite avec Karkwa et je vois la vie autrement."
VOL PLANÉ
En juillet dernier, la formation m’avait invité à partager son quotidien alors qu’elle enregistrait live Les tremblements s’immobilisent au Studio Victor, en compagnie du réalisateur Pierre Girard. Ce jour-là, Karkwa mettait en boîte Red Light (une pièce chantée par Brigitte Fontaine) et la douce L’Épaule froide où le narrateur prévient un chauffeur téméraire qu’il ne veut pas finir le cœur coincé contre de la tôle froide. Cette propension à s’immiscer dans la tête d’un personnage à l’aide d’une plume imagée et raffinée permet à l’auditeur de bien sentir la détresse, l’espoir et le sentiment d’urgence des pièces de Karkwa. "Sur La Fuite, j’exprime la panique d’un type qui viendrait de tirer sur le président Bush", révèle Louis-Jean qui partage l’écriture des textes avec Julien Sagot et Michel Gagnon, un ancien membre du groupe. "Sur Les Vapeurs, je voulais sentir toute la rage, mais également la lucidité et la sensibilité d’un jeune qui entre dans une école pour abattre les autres élèves. Le but n’est surtout pas ici de faire la morale ou de critiquer l’Amérique. Je cherchais plutôt à vivre ces moments riches en émotions."
Le résultat est convaincant, extrêmement poignant, exempt de moments faibles et se révèle sans contredit l’un des meilleurs albums pop-rock québécois de l’année. Parions que le concert sera à la hauteur.
Le 24 janvier à 21h Au Grand Salon, avec Alligator Trio
Article rédigé le 19 janvier 2006 par Olivier Robillard Laveaux dans Voir